Les diatomées planctoniques comme outils de surveillance de « l’état de santé » hydrologique du lac Tonle Sap au Cambodge
Brève CNRS

02 mai 2019

Loïc Tudesque

Les diatomées sont des algues microscopiques siliceuses dont la taille varie selon les espèces, de quelques microns à plusieurs dizaines de microns. Elles sont présentes sous toutes les latitudes, aussi bien en milieu marin qu’en eau douce. Du fait de leur grande sensibilité aux conditions environnementales, les diatomées sont reconnues comme étant d’excellents indicateurs biologiques de l’état de santé des milieux aquatiques. Dans une étude parue dans la revue Diatom Research, une équipe de chercheurs toulousains du laboratoire Evolution & Diversité Biologique (EDB – CNRS/Université Toulouse III Paul Sabatier/IRD) et américains de l’Université de Seattle ont étudié la communauté de diatomées du plancton du Lac Tonle Sap au Cambodge, plus grand lac d’Asie du Sud-est faisant plus de 100 km de long et 50 km de large. L’objectif de cette recherche a été de déterminer la pertinence des diatomées en tant que traceurs des conditions hydrodynamiques de ce lac particulier, un des rares au monde fonctionnant sur le principe des flux pulsés et cas unique de par l’amplitude des phases de pulse.

 

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Situé au centre-est du Cambodge, le lac Tonle Sap est connecté au Mékong par la rivière Tonle. Son régime hydrologique comprend une phase de basses eaux en saison sèche et une phase de hautes eaux en saison humide, cette dernière multipliant par cinq sa superficie. Entre ces deux phases extrêmes, il connait une phase de transition où il se vide par écoulement du Tonle vers le Mékong, ainsi qu’une phase de remplissage durant laquelle le sens d’écoulement du Tonle s’inverse, conséquence des eaux gonflées du Mékong par la fonte des neiges de l’Himalaya.

Ce fonctionnement hydrologique unique au monde, à l’image de pulsations cardiaques, fait du Tonle Sap un « hotspot » de biodiversité. Au cœur de l’activité socio-économique du Cambodge, le Tonle Sap supporte la plus importante pêcherie d’eau douce mondiale faisant vivre directement plus de 2 millions de personnes.

Etant donné la croissance des pressions anthropiques et plus particulièrement des projets d’irrigation et de barrages hydroélectriques dans le bassin du Mékong, des perturbations du fonctionnement écologique du lac sont à craindre.  Ces altérations hydrologiques sur le cours du Mékong diminuent l’amplitude des flux pulsés dans le Tonle Sap. De façon extrême, cela pourrait conduire à un arrêt progressif du fonctionnement hydrologique du lac.

 

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L’échantillonnage de la communauté des diatomées planctoniques s’est déroulé sur une période deux cycles complets (2 phases de basses eaux et 2 phases de hautes eaux – Période de 2 ans) dans dix stations réparties sur l’ensemble du lac. Au total, 120 échantillons ont été analysés au laboratoire en microscopie optique et électronique à balayage afin d’établir les inventaires floristiques. Une première phase d’identification a été effectuée au niveau du genre – l’identification à un niveau plus fin, à l’espèce, étant en cours. Au total, 56 genres de diatomées ont été inventoriés et, à chaque genre, associé une « forme de vie » pour déterminer la dynamique spatiale et temporelle des variations taxinomiques et des formes de vies.

Par cette étude, les chercheurs ont démontré : 1) que les flux pulsés saisonniers déterminent les variations spatiales de la composition taxinomique des communautés de diatomées et 2) que les changements saisonniers des formes de vie des communautés reflètent le fonctionnement hydrologique du lac dans ses dimensions latérales d’échange avec la plaine d’inondation, mais aussi verticales, avec les sédiments. Ainsi, il a été mis en évidence que les pulses hydrologiques sous-tendent le fonctionnement biologique au travers des processus d’homogénéisation et de différentiation de la biocénose.

 

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Dans le contexte de changement global affectant notre planète, où les pressions exercées sur les milieux sont croissantes, les résultats de cette étude démontrent que les diatomées, tels des microcapteurs biologiques, constituent un outil très sensible de diagnose du fonctionnement hydrologique d’un lac et au-delà, de surveillance du maintien de sa biodiversité, élément indispensable à l’équilibre écologique et socio-économique de l’ensemble d’une région.
 

Réference

Planktonic diatom community dynamics in a tropical flood-pulse lake: the Tonle Sap (Cambodia), Tudesque L., Pool T.K. & Chevalier M., Diatom Research, 25 mars 2019.

Source INEE CNRS