Chez les grenouilles, s’hybrider en ayant des modes de reproduction distincts c’est possible !
Brève CNRS

18 février 2019

Antoine Fouquet

Les hybridations entre espèces animales ont longtemps été perçues comme relativement rares, cependant de nombreux travaux scientifiques changent peu à peu cette perception. Une équipe de chercheurs du laboratoire Évolution et Diversité Biologique (EDB – CNRS/IRD/UT3 Paul Sabatier), de plusieurs équipes de Guyane française (Institut Pasteur, LEEISA), du Brésil (IEPA, UFPE, USP) et des États-Unis (University of Mississippi) viennent de mettre en évidence un cas particulièrement étonnant d’hybridation entre deux espèces d’amphibiens d’Amazonie. Ces résultats ont été publiés dans la revue Molecular Phylogenetics and Evolution en janvier 2019.

 

Les hybridations entre espèces animales ont longtemps été considérées comme des évènements exceptionnels dans la nature. Le critère d’interfécondité est d’ailleurs l’un des premiers à avoir été employé afin de délimiter les espèces. Les progrès en génomique permettent dorénavant d’entrevoir plus finement les histoires évolutives des organismes. Grâce à ces avancées, de nombreux travaux ont montré que ces évènements sont, et ont été beaucoup plus fréquents qu’on ne le pensait. Néanmoins, la plupart des cas connus d’hybridations, actuelles ou passées, impliquent des espèces relativement similaires.

Des chercheurs du laboratoire Évolution et Diversité Biologique (EDB – CNRS/IRD/UT3 Paul Sabatier), de plusieurs équipes de Guyane française (Institut Pasteur, LEEISA), du Brésil (IEPA, UFPE, USP) et des États-Unis (University of Mississippi), à l’origine d’une étude publiée dans Molecular Phylogenetics and Evolution, viennent de mettre en évidence un cas d’hybridation récente entre deux espèces de grenouilles d’Amazonie du genre Anomaloglossus se distinguant principalement par leurs habitats et leurs chants, et plus étonnamment encore, par leurs modes de développement larvaire.

En effet, l’une de ces deux espèces produit un têtard classique pour cette famille de grenouille. Celui-ci éclot dans un nid terrestre puis est transporté par le mâle jusqu’au ruisseau dans lequel il complètera son développement en se déplaçant et se nourrissant librement (exotrophique) jusqu’à la métamorphose. En revanche, la seconde espèce possède un têtard n’ayant pas de bouche fonctionnelle et se développant jusqu’à la métamorphose dans le nid terrestre uniquement grâce aux réserves vitellines fournies par l’œuf (endotrophique).

Pour arriver à la conclusion que ces deux espèces se sont hybridées, l’équipe a échantillonné, enregistré les chants et observé des individus en Guyane et au Brésil pendant plusieurs années. Ils ont ensuite utilisé des données génétiques – génomiques issues de la technique de RADseq (Restriction Associated DNA Sequencing) qui consiste à sélectionner aléatoirement au sein du génome des milliers de fragments de petite taille grâce à des enzymes de restriction. Ces fragments sont ensuite séquencés1, et ceux possédant des sites variables (SNPs; Single Nucleotide Polymorphism) entre populations sont sélectionnés.

Au total, plus de 1500 fragments comportant plus de 16000 SNPs ont ainsi été analysés afin de tester si la structure génétique des différentes populations concordait avec les différences phénotypiques et larvaires observées.

La correspondance s’avérant partielle, les scientifiques ont analysé les échanges de matériel génétique entre populations et ont abouti à la conclusion que cette différence s’expliquait par des hybridations successives au cours de l’histoire de ces deux espèces. En considérant les relations phylogénétiques, la directionnalité des échanges et la distribution spatiale des différents groupes génétiques identifiés, l’équipe a émis l’hypothèse d’une hybridation entre les ancêtres de ces deux espèces lors d’un contact dans le sud de la Guyane au cours du Pléistocène (2,6 à 0,01 million d’années). L’espèce exotrophique a ensuite continué sa progression vers le nord et l’est puis s’est de nouveau hybridée avec l’espèce endotrophique. A chacune de ces étapes, les espèces ont maintenu toutefois leurs phénotypes.

Ces résultats invitent désormais les scientifiques à rechercher les mécanismes géniques et hormonaux qui pourraient être impliqués dans l’endotrophie larvaire chez les amphibiens. En effet, le cas d’Anomaloglossus n’est pas isolé, car l’endotrophie est apparue indépendamment dans plus de 20 groupes d’Amphibiens et sur tous les continents.

 

 

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Réference

Phenotypic and life-history diversification in Amazonian frogs despite past introgressions, Fouquet, A., Ferrier, B., Salmona, J., Tirera, S., J., Vacher, J.-P., Courtois, E.A., Gaucher, P., Dias Lima, J., Nunes, P.M.S., de Souza, S.M., Rodrigues, M.T., Noonan, B. de Thoisy, B., Molecular Phylogenetics and Evolution, 2019.

Notes

1. séquençage NGS dit de nouvelle génération

 

Source INEE CNRS