Climat, barrages et Andes, le triple piège aquatique amazonien
Actu IRD

02 novembre 2020

Pablo Tedesco, Thierry Oberdorff, Sébastien Brosse, Céline Jézéquel

L’avenir des poissons d’eau douce de l’Amazone préoccupe les spécialistes. La géographie et les aménagements liés aux activités humaines pourraient empêcher certaines populations aquatiques de trouver un habitat propice pour s’adapter au changement climatique.

Sale époque pour les poissons de l’Amazone… « Dans la grande course des espèces vivantes pour s’adapter au réchauffement global, ils rencontrent de nombreuses embuches qui pourraient se révéler complétement rédhibitoires pour certains d’entre eux, estime le macroécologue Pablo Tedesco. Basés sur la modélisation et les connaissance acquises sur les populations aquatiques amazoniennes, nos travaux visent à anticiper l’impact du réchauffement climatique sur la distribution des poissons d’eau douce dans ce bassin artificiellement fragmenté par la construction de très nombreux barrages. » Les infrastructures hydroélectriques ne sont d’ailleurs pas les seules à faire obstacle.

 

Chercher la fraicheur

Sur terre, sur mer et même dans les airs, le mouvement est général, les espèces animales et végétales ont entrepris de migrer pour résister au changement climatique. Concrètement, il s’agit pour elles de gagner des lieux où les conditions de température sont conformes à leurs préférences climatiques naturelles. Dans les océans par exemple la migration des espèces vers les latitudes plus fraiches est engagée depuis plus d’une vingtaine d’années. L’aire de répartitions des poissons et oiseaux marins se déplace ainsi vers les régions septentrionales dans l’hémisphère nord, et australes dans l’hémisphère sud, à raison d’une quarantaine de kilomètres par an environ. Ce qui est vrai dans les océans l’est également sur terre où des végétaux prospèrent désormais dans des terroirs où ils étaient inconnus quelques décennies auparavant. Sur les montagnes, le phénomène se traduit par une escalade progressive des espèces vers la fraicheur des sommets. « Dans les rivières, où les températures vont croissant de la source vers l’embouchure, explique le scientifique, la migration se fait vers l’amont. Enfin, dans la mesure où elle n’est pas entravée par des obstacles comme sur l’Amazone. »

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Obstacles artificiels

Dans la quête aux énergies abondantes, et aux énergies décarbonéees particulièrement, le cours du plus puissant fleuve du monde constitue en effet une précieuse ressource pour exploiter l’hydroélectricité. D’ores et déjà plus de 150 grands barrages tirent parti de cette manne naturelle. «Pour vertueux que puisse paraitre ce développement d’infrastructures, il n’est pas sans conséquence sur les capacité d’adaptation des espèces au réchauffement, indique le chercheur. La fragmentation du cours constitue une entrave à la migration des espèces. »

En réalité, si la construction du barrage vient à diviser une communauté aquatique, les chances de perdurer du groupe piégé en aval sont minces. Celles d’espèces totalement isolées en aval de l’ouvrage le sont plus encore. Rapporté au nombre d’espèces et de barrages, c’est une véritable question de maintien de la biodiversité qui est posée. Au-delà de l’aspect infranchissable de ces obstacles, ils dessinent aussi une nouvelle architecture du cours du fleuve, dont les compartiments peuvent s’avérer incompatibles avec le mode de vie de certaines espèces.

 
 

Compartiments trop étroits

« La distance entre deux barrages est variable, dépendant de facteurs propres aux constructeurs, et la surface de fleuve ménagée l’est aussi, note le spécialiste. Mais la taille des segments est très importante pour les chances d’adaptation des espèces piégées dans ces compartiments. » En effet, les petits poissons peuvent sans difficulté s’accommoder de volume restreint, pour peu que les conditions de température soient favorables : ils sont coutumiers de densités de population élevées. Mais il n’en est pas de même pour les grandes espèces. « Elles ont besoin de plus d’énergie et donc d’espace pour se nourrir, explique-t-il. Si elles se trouvent piégées dans des compartiments trop étroits, à court terme elles ne pourront pas se nourrir ou, à moyen terme, ne trouveront pas une diversité suffisante pour reproduire durablement leur population. » Mais ce n’est pas tout, la géographie s’en mêle aussi…

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Le mur des torrents andins

La majeure partie du cours de l’Amazone s’écoule presque à plat dans la plaine. Ses eaux vont plutôt tranquillement, poussées davantage par leur poids que par la pente quasi insignifiante sur plus de 4000 kilomètres. Naturellement, la plupart des poissons qui y vivent sont adaptés à cette quiétude des flots. Et, sauf les barrages, ils peuvent facilement migrer d’un compartiment à l’autre pour trouver les conditions propices à leur adaptation aux nouvelles températures. De la sorte, les espèces de l’estuaire remontent vers le moyen cours et celles du moyen cours vers le haut cours du fleuve.

« Mais il ne faut pas oublier que l’Amazone prend sa source dans les Andes, à plus de 4000 mètres d’altitude, rappelle Pablo Tedesco. L’extrémité supérieure de son cours est loin d’être paisible. ». Et tout laisse à croire que les espèces qui vivent dans le haut du cours, juste en aval du mur des Andes, ne sauront pas s’adapter aux conditions très tumultueuses  du torrent initial. Elles aussi pourraient être rattrapées par le réchauffement sans pouvoir s’échapper en amont.

« Ainsi, les espèces les plus imposantes, mais aussi celles vivant dans le haut du cours juste avant les pentes andines, comme les communautés coincées en aval d’un barrage, voient leur pérennité compromise faute de trouver les conditions pour s’adapter au changement climatique. C’est d’autant plus préoccupant qu’il existe encore des centaines de projets de barrages prévus sur le grand fleuve », conclut le chercheur.

 

Réference

The combined effects of climate change and river fragmentation on the distribution of Andean Amazon fishes, Guido A. Herrera‐R, Thierry Oberdorff, Elizabeth P. Anderson, Sébastien Brosse, Fernando M. Carvajal‐Vallejos, Renata G. Frederico, Max Hidalgo, Céline Jézéquel, Mabel Maldonado, Javier A. Maldonado‐Ocampo, Hernán Ortega, Johannes Radinger, Gislene Torrente‐Vilara, Jansen Zuanon, Pablo A. Tedesco, Global Change Biology, 23 septembre 2020.

Source IRD