La gestion des invasions biologiques est un enjeu capital afin de maintenir la biodiversité et les services rendus par les écosystèmes à l’Homme. Néanmoins, contrôler une espèce invasive établie dans un nouveau milieu est très complexe et particulièrement coûteux en termes de moyens humains et financiers. Les programmes de contrôle reposent généralement sur des techniques sélectives (qui ne capturent pas tous les individus d’une espèce) tels que le piégeage ou la biomanipulation (introduction de prédateurs) et peuvent donc induire des différences de traits écologiques entre individus contrôlés et individus non-contrôlés, restant dans le milieu. La plupart du temps, ces individus non-contrôlés sont ceux qui se reproduiront et recoloniseront les écosystèmes lorsque les programmes de gestion s’arrêtent, habituellement par faute de moyens. En dépit du nombre croissant d’espèces qui sont volontairement ou involontairement introduites par l’Homme en dehors de leur aire de distribution et de programmes de gestion mis en place pour limiter leur abondance, il n’existe aucune étude prenant en compte les effets potentiels des changements de traits écologiques induits par la gestion des espèces invasives et de leurs potentielles conséquences sur la restauration des écosystèmes.
Dans le cadre d’un projet de recherche financé par l’Office Français pour la Biodiversité (OFB – Projet ERADINVA), les chercheurs ont d’abord quantifié les différences de traits écologiques entre les écrevisses de Louisiane (Procambarus clarkii – Photographie 1) issues de trois plans d’eau gérés et de trois plans d’eau non gérés de la région Toulousaine. Les résultats ont permis de montrer l’existence d’importantes différences entre écrevisses issues de ces deux types de lacs, notamment en termes de poids et de comportement tels la témérité et la voracité., Les scientifiques ont ensuite utilisé une expérimentation en mésocosmes (Photographie 2) afin de comparer les effets écologiques induits par une diminution d’abondance à ceux induits par des changements de traits écologiques n’étant jamais pris en compte par les gestionnaires dans la conservation des espèces et la restauration des milieux.
Les résultats démontrent que ces changements de traits écologiques peuvent induire trois types d’effets écologiques : i) des effets écologiques nouveaux par rapport à la diminution d’abondance, ii) des effets écologiques additifs qui viennent renforcer ceux induits par la diminution d’abondance, mais aussi iii) des effets écologiques opposés qui peuvent diminuer, voire annuler les gains écologiques obtenus par une diminution d’abondance. Dans ce cas précis, les conséquences sont contre-productives pour les écosystèmes, car les effets globaux des mesures de gestion deviennent nuls.
Les résultats de cette étude soulignent donc l’importance de la prise en compte des changements de traits écologiques dans les programmes de gestion des espèces invasives ainsi que le caractère essentiel de la prévention en matière d’introduction de nouvelles espèces dans les milieux naturels, car une fois introduites, leur gestion est complexe et souvent peu efficace.