Des modifications de la régénération des arbres sont déjà observées dans différents écosystèmes et latitudes, plus particulièrement en forêt boréale, possiblement en relation avec les changements climatiques actuels. Les forêts boréales sont aussi menacées par l’intensification des perturbations anthropiques, notamment pour la recherche des mines et gisements, ce qui renforce les enjeux de conservation sur ces écosystèmes et leur diversité. A l’écotone entre la sapinière à bouleau blanc et la pessière à mousse (au niveau du 49°N parallèle), dans les plaines argileuses de l’Abitibi-Témiscamingue et du Nord-du-Québec, les forêts sont dominées par l’épinette noire, mais laissent apparaître quelques populations isolées de peupliers faux-tremble (Populus tremuloides Michaux). Ces deux types de peuplements poussent dans les mêmes conditions édaphiques (sol minéral) et climatiques. D’un point de vue de la dispersion, le sapin a la possibilité de s’installer dans les deux peuplements. Cependant, sa croissance est meilleure sous les peupliers faux-trembles que sous les épinettes noires, pour des conditions abiotiques similaires (Arbour et Bergeron, 2011)1, en lien possible avec l’hétérogénéité des communautés de champignons du sol (Nagati et al., 2018)2. Cette situation est donc idéale pour déterminer le rôle des interactions biotiques dans l’établissement et la croissance d’une espèce. Les chercheurs ont donc supposé que des associations mycorhiziennes, par le biais des champignons, pourraient expliquer cette migration « facilitée » sous les peupliers.
Pendant deux années, soixante jeunes plants de sapins ont été suivis sur le terrain afin de relier la croissance et le taux de nutriments dans les aiguilles (deux estimateurs de la vigueur) au taux de mycorhization et à la diversité fongique. Les scientifiques ont également prospecté afin de voir si les différences dans l’abondance des plantes éricacées en sous-bois et dans les communautés fongiques pouvaient expliquer les différences observées dans la croissance et la nutrition du sapin baumier.
Les résultats montrent que la concentration en nutriments dans les aiguilles et l’indice de ramification (nombre d’apex racinaires mycorhizés par cm de racine) étaient plus importants dans les peuplements de peupliers et qu’ils étaient positivement corrélés à la croissance latérale et apicale du sapin baumier. Dans les peuplements d’épinette noire, la présence des plantes éricacées à proximité du sapin baumier était corrélée à une modification des communautés ectomycorhiziennes associées aux racines du sapin ce qui a eu un effet négatif sur la concentration foliaire en azote.
Les résultats de cette étude nous indiquent donc que les différences observées d’abondance et de croissance du sapin sous le peuplier et l’épinette sont la résultante d’interactions complexes, où les communautés mycorhiziennes et les communautés végétales dominantes jouent un rôle. Ces travaux invitent ainsi à prendre en compte le sol et ses micro-organismes afin de comprendre la diversité des réponses au changement climatique, notamment à l’écotone entre forêts tempérée et boréale, « hot spot » de la diversité des champignons ectomycorhiziens.