L’adaptation du génome des peuples d’Océanie a assuré leur survie
Communiqué de presse CNRS – Université Toulouse 3 Paul Sabatier

04 juillet 2022

Nicolas Brucato, François-Xavier Ricaut

Il y a environ 50 000 ans, la ligne de Wallace était franchie par l’espèce humaine. Cette frontière biogéographique, définie par de forts courants marins, sépare l’Asie insulaire de l’Océanie. La survie des premières populations lors de leur arrivée dans cette zone serait due à leur génome. Celui-ci se serait adapté à l’écosystème unique de cette région du monde, ce qui leur aurait notamment permis d’utiliser les ressources alimentaires disponibles sur place. C’est ce que révèle une équipe internationale de recherche, menée par des scientifiques du laboratoire Evolution et diversité biologique (EDB – CNRS/IRD/Université Toulouse III – Paul Sabatier), qui a étudié la diversité génomique de 239 individus d’Océanie et d’Asie Insulaire. Ces travaux sont publiés dans iScience.

 

A l’est de la ligne de Wallace, les terres d’Australie et de Nouvelle Guinée formaient jusqu’au milieu de l’Holocène1,  il y a environ 5 000 ans, un ancien continent appelé Sahul, au sein duquel se sont développées, pendant des millions d’années, une faune et une flore uniques au monde (mammifères marsupiaux et monotrèmes, forêts d’eucalyptus, etc.). Les fouilles archéologiques attestent d’une présence humaine du nord au sud de cet ancien continent entre -46 000 et -49 000 ans, ce qui laisse supposer que les premiers groupes humains ont rapidement peuplé ce territoire. Néanmoins, jusque-là, aucune étude n’avait pu indiquer si le peuplement de cet écosystème inconnu avait été facilité par certaines adaptations génétiques.

C’est désormais chose faite grâce à l’étude conduite par le Dr Nicolas Brucato et le Dr François-Xavier Ricaut (EDB) qui visait à analyser la diversité génomique de 239 individus d’Océanie et d’Asie insulaire. Cette analyse a permis de détecter et dater les possibles adaptations génétiques propres aux premiers groupes humains ayant traversé la ligne de Wallace.

« Le Papuan Past Project2, débuté en 2016, en collaboration avec l’Université de Papouasie Nouvelle-Guinée, est l’un des rares projets internationaux qui permet d’étudier le peuplement et l’adaptation des populations de Nouvelle-Guinée et d’Océanie », explique François-Xavier Ricaut, chercheur du CNRS. Ces dernières années, des travaux de l’équipe avaient permis de définir les routes migratoires empruntées par les premiers colons3. Après ce constat, il fallait déterminer si ce peuplement avait engendré des adaptations génétiques spécifiques à Sahul.

Les génomes des populations océaniennes ont révélé un fort signal de sélection naturelle daté entre -54 et -52 000 ans, soit la période présumée de leur arrivée en Sahul. « Ce signal génétique est, à notre connaissance, la première preuve biologique d’une adaptation génétique datant des premiers pas du genre humain en Sahul », déclare le chercheur du CNRS Nicolas Brucato. Il est en partie hérité de Denisova, cet ancien homininé, cousin de Néandertal, que les groupes humains pourraient avoir rencontré en Asie insulaire voire en Océanie. L’équipe a alors approfondi ses analyses pour détailler ce signal par des analyses bio-informatiques plus poussées. Elles ont révélé qu’il est porté par des gènes impliqués dans deux types de fonctions biologiques, essentielles à la survie humaine : la réponse immunitaire et le métabolisme. Les gènes du métabolisme sous sélection chez les Océaniens ont un rôle prépondérant dans la digestion des produits végétaux. En effet, les populations de Nouvelle Guinée ont été parmi les premières au monde à inventer des pratiques horticoles et agricoles (dès -8 000 ans dans les vallées d’altitude) et à exploiter les plantes, il y a 44 000 – 49 000 ans. Actuellement, l’essentiel de leur régime alimentaire est basé sur la consommation de plantes. Ce rapport tout à fait particulier au monde végétal pourrait, en partie, expliquer la pression de sélection sur des gènes impliqués dans leur digestion.

Il s’agit désormais d’explorer plus en profondeur le rôle biologique de ces gènes chez les populations océaniennes car la modification récente de leurs pratiques alimentaires (notamment l’importation de produits) pourrait avoir un impact fort sur leur santé alors qu’elles sont adaptées à un régime alimentaire vieux de plusieurs milliers d’années.

 
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Réference

Chronology of natural selection in Oceanian genomes, Nicolas Brucato, Mathilde André, Georgi Hudjashov, Mayukh Mondal, Murray P. Cox, Matthew Leavesley, François-Xavier Ricaut, iScience, 2022.

Notes

1 Nom de l’ère géologique qui représente les 11 000 dernières années. Correspond à la dernière partie de l’ère quaternaire période la plus récente dans l’échelle des temps géologiques.

2 https://papuanpast.hypotheses.org/

3 Brucato N, André M, Tsang R, Saag L, Kariwiga J, Sesuki K, Beni T, Pomat W, Muke J, Meyer V, Boland A, Deleuze JF,Sudoyo H, Mondal M, Pagani L, Gallego Romero I, Metspalu M, Cox MP, Leavesley M, Ricaut FX. 2021 Papua New Guinean genomes reveal the complex settlement of north Sahul. Molecular Biology and Evolution. 38(11), 5107-5121. doi:10.1093/molbev/msab238

Pedro N, Brucato N, Fernandes V, André M, Saag L, Pomat W, Besse C, Boland A, Deleuze JF, Clarkson C, Sudoyo H, Metspalu M, Stoneking M, Cox MP, Leavesley M, Pereira L, Ricaut FX. 2020 Papuan mitochondrial genomes and the settlement of Sahul. Journal of Human Genetics. doi:10.1038/s10038-020-0781-3

Source CNRS