Les formes oxydées et réduites d’azote sont des composés chimiques provenant respectivement de la combustion d’hydrocarbures (circulation routière, chauffage, industrie,…) et de l’agriculture (engrais, élevage,…). Ces polluants atmosphériques qui participent à l'effet de serre et donc au dérèglement climatique global provoquent également l’acidification et l’eutrophisation des sols de certains écosystèmes terrestres. Récemment, plusieurs travaux scientifiques ont mis en évidence les conséquences négatives de ces dépôts azotés sur la richesse spécifique des prairies de plaine. Seules quelques études expérimentales s’étaient en revanche focalisées jusqu’à maintenant sur les écosystèmes d’altitude.
Les travaux que viennent de publier cette équipe franco-espagnole offrent pour la première fois une vision spatio-temporelle de l’impact des dépôts azotés à l’échelle des Pyrénées. Les chercheurs ont pour cela compilé plus de 550 relevés floristiques réalisés depuis les années 1950 sur l’ensemble des prairies subalpines du massif montagneux et re-échantillonné une quarantaine de sites. L’analyse de ces données révèle que l’accumulation d'azote exogène a modifié de manière significative la composition des nardaies subalpines3. « Bien que ces pelouses soient aujourd’hui moins caractéristiques des sols infertiles d’altitude et plus homogènes sur le plan floristique, de façon surprenante, leur richesse spécifique a en moyenne augmenté d’un tiers en l’espace de 60 ans », constate André Pornon, enseignant-chercheur à l'Université Toulouse III - Paul Sabatier et coauteur de l’étude.
L’accroissement des dépôts azotés au sein de ce genre d’écosystème devrait pourtant favoriser les espèces capables de tirer profit de cette eutrophisation, comme certaines plantes de la famille des poacées, aux dépens d’autres espèces et ainsi faire chuter la diversité végétale. Or les résultats des scientifiques contredisent un tel scénario. Selon eux, le pâturage des prairies subalpines pyrénéennes par les troupeaux (bovins, chevaux, ovins) préserverait en fait ces milieux naturels de l’eutrophisation. « En consommant les plantes herbacées, les herbivores exportent à la fois la matière végétale et l’azote qu’elle contient, ce qui évite son accumulation dans l’écosystème tout en annihilant ses effets négatifs », explique André Pornon. L'exportation d'azote exogène en dehors du milieu serait d'autant plus efficace qu’une part importante de celui-ci est directement absorbée par le feuillage des plantes broutées par les herbivores. Afin de tester leur hypothèse, les chercheurs veulent désormais procéder à des traçages isotopiques d’azote préalablement déposé sur des parcelles expérimentales de prairie subalpine. Ils espèrent ainsi suivre le destin de cet élément chimique dans l’écosystème en fonction de son niveau de pâturage et mesurer le rôle bénéfique de cette activité sur la biodiversité des prairies.