Les forêts tropicales peuvent supporter la chaleur, jusqu’à un certain point
Brève CNRS

25 mai 2020

Jérôme Chave

Sous l’impact du changement climatique, les forêts tropicales intactes font face à un avenir incertain. Une nouvelle étude publiée le 22 mai 2020 dans la revue Science suggère qu’elles continueront à stocker de grandes quantités de carbone même compte tenu du réchauffement, à condition que la déforestation tropicale soit réduite. Les forêts tropicales du monde stockent un quart de siècle d’émissions de combustibles fossiles dans leurs seuls arbres. Il est à craindre que le réchauffement climatique ne réduise cette réserve si la croissance des arbres diminue ou si leur mortalité augmente, accélérant ainsi le changement climatique. Une équipe de recherche internationale incluant le laboratoire Évolution et Diversité Biologique de Toulouse (EDB – CNRS / Université Toulouse III Paul Sabatier / IRD) a mesuré plus d’un demi-million d’arbres dans 590 parcelles de forêts tropicales afin de relier la quantité de carbone qu’elles stockent au climat dans lequel elles poussent aujourd’hui.

 

Les scientifiques révèlent que les forêts tropicales continuent à agir comme un puits de carbone sous des températures élevées et dans le futur, elles pourraient continuer à stocker du carbone jusqu’à 32 degrés Celsius en température diurne. Cependant, cette conclusion est conditionnée au fait que les forêts aient le temps de s’adapter, qu’elles restent intactes et que le réchauffement global ne soit pas trop rapide.

L’auteur principal, Dr Martin Sullivan, de l’Université de Leeds et de l’Université métropolitaine de Manchester, explique que leur analyse révèle que jusqu’à un certain point de réchauffement, les forêts tropicales sont étonnamment résistantes aux petites différences de température. Si nous limitons le réchauffement climatique, elles peuvent continuer à stocker une grande quantité de carbone, même dans un monde plus chaud. Le seuil de 32°C souligne l’importance cruciale de réduire d’urgence nos émissions afin d’éviter d’entrainer trop de forêts au-delà de la zone de sécurité. Par exemple, si nous limitons les températures moyennes mondiales à une augmentation de 2°C au-dessus des niveaux préindustriels, cela amène près des trois quarts des forêts tropicales au-dessus du seuil de chaleur que nous avons identifié. Toute nouvelle augmentation de la température entraînera des pertes rapides de carbone forestier. Chaque degré d’augmentation de la température libérerait 51 milliards de tonnes de CO2 des forêts tropicales dans l’atmosphère ».

Les forêts libèrent du dioxyde de carbone dans l’atmosphère lorsque le gain de carbone ne contrebalance pas la perte due à la mortalité et la décomposition des arbres. Cette étude est la première à analyser la sensibilité climatique des forêts grâce à des observations de long terme de forêts tropicales. Ces travaux suggèrent que la température a un effet direct sur les stocks de carbone forestier réduisant ainsi la croissance plantes. La sécheresse est également un deuxième facteur clé.

Le professeur Beatriz Marimon de l’Université d’État du Mato Grosso au Brésil, coauteur de ces travaux, étudie certaines forêts tropicales les plus chaudes du monde au centre du Brésil. Selon elle, ces résultats suggèrent que les forêts intactes sont capables de résister à certains changements climatiques. Pourtant, ces arbres tolérants à la chaleur sont également confrontés à des menaces immédiates telles que le feu et la fragmentation. Parvenir à l’adaptation au climat signifie tout d’abord protéger les forêts intactes qui restent.  Le professeur Marimon note les limites claires de l’adaptation. L’étude indique qu’au-dessus de 32°C de température diurne, le carbone des forêts tropicales diminue plus rapidement avec des températures plus élevées, quelles que soient les espèces présentes.

Les informations sur la façon dont les forêts tropicales du monde réagissent au climat n’ont été possibles que grâce à des décennies de travail minutieux sur le terrain, souvent dans des endroits reculés. L’équipe de 225 chercheurs a combiné les observations des forêts en Amérique du Sud, en Afrique et en Asie. Dans chaque parcelle de suivi, le diamètre de chaque arbre et sa hauteur ont été utilisés pour calculer les stocks de carbone. Les parcelles ont été réinventoriées régulièrement afin de quantifier les flux de carbone. Pour calculer les changements dans le stockage du carbone, il a fallu identifier près de 10 000 espèces d’arbres et effectuer plus de deux millions de mesures du diamètre des arbres, dans 24 pays tropicaux. Cette étude s’appuie sur un effort important de suivi des forêts en Guyane française, qui concentre une proportion importante des inventaires forestiers en Amazonie et dont le suivi est rendu possible par la collaboration entre l’ONF, le CIRAD et le CNRS au sein du projet GUYAFOR.

Réduire suffisamment les émissions de carbone pour maintenir les forêts en deçà de la température critique sera difficile. Le professeur Oliver Phillips de l’Université de Leeds, déclare à ce propos que garder notre planète et nous-mêmes en bonne santé n’a jamais été aussi important. L’humanité a une occasion unique d’effectuer une transition climatique. En ne retournant pas simplement au « business as usual » après la crise actuelle, nous pouvons garantir que les forêts tropicales intactes resteront d’énormes réservoirs de carbone. Les protéger des changements climatiques, de la déforestation et de l’exploitation de la faune sauvage doit être au cœur de notre effort pour la biosécurité. Imaginez que nous saisissions cette occasion pour réinitialiser la façon dont nous traitons notre Terre. Nous pouvons garder notre maison suffisamment fraîche pour protéger ces magnifiques forêts – et nous garder tous en sécurité.

 

Réference

Long-term thermal sensitivity of Earth’s tropical forests, Martin J. P. Sullivan et al., Science, 22 May 2020.

Source INEE CNRS