Les recherches d’une équipe de chercheurs du laboratoire Évolution et Diversité Biologique de Toulouse (EDB-CNRS/ Université Toulouse III Paul Sabatier/IRD), de l’Institut des Sciences de l’Évolution de Montpellier (ISEM-CNRS/ Université de Montpellier), et du Museo Nacional de Ciencias Naturales de Madrid (MNCN-CSIC) ont permis de reconstituer l'histoire évolutive de ces quatre formes à l'aide des outils conceptuels et techniques de la génomique des populations et de la phylogénétique moléculaire. En effet, cette histoire particulière laisse des traces dans les génomes. En analysant un très gros volume de séquences d'ADN chez de nombreux individus des différentes formes, mais aussi d'espèces apparentées, on peut reconstruire un arbre phylogénétique qui décrit les relations évolutives au sein du groupe considéré et tenter de mieux comprendre les mécanismes qui régissent les différences entre formes. Ces analyses ont révélé notamment que la présence des quatre formes de zostérops gris à La Réunion correspond bien au type de situation où une espèce ancestrale s'est diversifiée en plusieurs formes après avoir colonisé l'île, autrement dit il s'agit d'une radiation évolutive qui s'est produite à l'intérieur d'une île. Ce résultat peut sembler surprenant, car chez les oiseaux, les seuls cas avérés de telles radiations n'ont été observés que sur des îles de très grande superficie, au moins 4 fois plus grande que La Réunion comme la Jamaïque ou l'île d'Hawaii. Les oiseaux sont des organismes très mobiles, et comme la probabilité que de nouvelles espèces se forment dépend des possibilités d'isolement géographique et augmente donc avec la superficie d'un territoire, on peut effectivement s'attendre à ce que la formation d'espèces soit difficile et exceptionnelle au sein d'une île de faible superficie.
Quels sont alors les facteurs qui expliquent la diversification du zostérops gris au sein de La Réunion ? La très faible capacité de dispersion de l’espèce semble jouer un rôle primordial pour expliquer que des populations aient pu diverger les unes des autres à une échelle si réduite. Des analyses génétiques ont montré que les échanges d'individus entre populations sont très limités et que des localités distantes de parfois quelques kilomètres seulement hébergent des populations distinctes génétiquement. Cette faible dispersion semble être induite par des changements comportementaux associés à la vie insulaire et ils se traduisent chez le zostérops par une sédentarité extrême de la plupart des individus.
Ces recherches, publiées dans deux articles parus dans les revues Proceedings of the Royal Society B et Molecular Ecology, permettent également de proposer un schéma de l'évolution des différentes formes de zostérops gris après qu'une espèce ancestrale a colonisé l'île : une population ancestrale semble avoir colonisé l'île dans ses parties basses, où elle a donné naissance à plusieurs formes inféodées aux zones de basse altitude qui se sont différenciées les unes les autres sous l'effet de mécanismes d'isolement comportementaux avant que des individus issus de l'une d'entre elles colonisent secondairement les zones de hautes altitudes pour donner naissance à une forme très distincte. Le changement important de l’habitat associé à la colonisation des sommets de montagne et l'action prépondérante des nouvelles pressions de sélection qui ont façonné les génomes permettent d'expliquer l'ampleur des différences entre cette forme de haute altitude et les autres formes de basses altitudes. Ainsi, ces résultats montrent que les interactions entre la diversité des pressions de sélection naturelle, l'évolution des mécanismes comportementaux du choix des partenaires, et un pouvoir de dispersion limité peuvent conduire à la divergence entre populations et la formation d'espèces à des échelles spatiales très réduites.