Out of Africa : nos origines multiples
Alerte presse CNRS

12 juillet 2018

Lounès Chikhi

Nos plus vieux ancêtres venaient d’Afrique, et on a longtemps cru qu’ils s’étaient dispersés depuis une région unique, située à l’est ou au sud du continent. Cependant, l’idée d’un berceau de l’humanité bien localisé est de plus en plus remise en question… jusqu’à étendre ce berceau à l’ensemble de l’Afrique. Fossiles humains, gènes et culture matérielle semblent en effet raconter la même histoire : nos ancêtres auraient été présents assez tôt sur tout le continent, évoluant dans des environnements très différents ; et au cours des 300 000 dernières années, c’est une dynamique complexe de connexions, de séparations et de métissages entre les différentes lignées et cultures qui aurait engendré, à la manière d’un puzzle, la diversité de notre espèce. C’est ce nouveau point de vue que publie le 11 juillet 2018, dans la revue Trends in Ecology and Evolution, un consortium composé de spécialistes de l’évolution humaine, de la génétique et des climats du passé, comprenant deux chercheurs du CNRS1.

Alors qu’il est largement admis que notre espèce est originaire d’Afrique, la façon dont Homo sapiens évolué au sein du continent a reçu moins d’attention. Beaucoup avaient supposé et souvent affirmé que les premiers ancêtres humains étaient à l’origine une population ancestrale relativement grande dans laquelle les différences régionales étaient limitées, en d’autres termes, les échanges de gènes et de technologies comme des outils en pierre, par exemple, se faisaient de manière fluide et plus ou moins aléatoire.
Dans un article publié dans Trends in Ecology and Evolution cette semaine, ce point de vue est contesté non seulement par l’étude habituelle des os (anthropologie), des outils (archéologie) et des gènes (génomique des populations), mais aussi par des reconstructions nouvelles et plus détaillées des climats et habitats de l’Afrique au cours des 300 000 dernières années.

 

Une espèce, plusieurs origines

« Les outils de pierre et d’autres artefacts – appelés culture matérielle – présentent des distributions remarquablement groupées dans l’espace et dans le temps », note le Dr Eleanor Scerri, archéologue de l’Université d’Oxford actuellement chercheuse au Max Planck Institut de Jena, en Allemagne et première auteur de l’étude. « Bien qu’il existe une tendance à l’échelle continentale vers une culture matérielle plus sophistiquée, cette « modernisation  » ne provient manifestement pas d’une région particulière et ne se produit pas à une période donnée. »

Les fossiles humains racontent une histoire similaire. « Quand nous regardons la morphologie des os humains au cours des 300 000 dernières années, nous voyons un mélange complexe de caractéristiques archaïques et modernes dans différentes régions et à différents moments », déclare le professeur Chris Stringer, chercheur au Muséum d’Histoire Naturelle de Londres et co-auteur de l’étude. « Comme pour la culture matérielle, nous voyons une tendance à l’échelle continentale vers la forme humaine moderne, mais différentes caractéristiques modernes apparaissent dans des endroits différents à des moments différents, et certaines caractéristiques archaïques sont présentes jusqu’à récemment. »

Les gènes semblent également d’accord sur cette vision. « Il est difficile de concilier les données génétiques et génomiques qui s’accumulent, y compris celles provenant de populations africaines actuelles, et provenant d’Africains ayant vécu au cours des 10 000 dernières années, avec une seule population humaine ancestrale limitée à une région », a déclaré le professeur Mark Thomas, de University College London, également coauteur de l’étude. « Nous voyons des signes de connectivité réduite dans le passé, et nous détectons de très
vieilles lignées génétiques, et des niveaux de diversité globale qu’une seule population aurait du mal à maintenir. »

 

Un patchwork écologique, biologique et culturel

Pour comprendre pourquoi les populations humaines étaient subdivisées et comment ces populations et leur connectivité ont changé au fil du temps, les chercheurs ont examiné les climats et les environnements de l’Afrique. Ces derniers donnent une image de zones habitables changeantes et souvent isolées. De nombreuses régions qui sont aujourd’hui parmi les plus inhospitalières d’Afrique, telles que le Sahara, étaient autrefois humides et vertes, avec des réseaux entrelacés de lacs et de rivières, et une faune abondante. De même, certaines régions tropicales humides et vertes ont autrefois été arides. Ces environnements changeants ont conduit à des subdivisions au sein des communautés fauniques et de nombreux animaux subsahariens présentent des modèles phylogénétiques similaires dans leur distribution.

La nature changeante de ces zones habitables ou inhospitalières signifie que les populations humaines ont vraisemblablement traversé de nombreux cycles d’isolements et de mélanges – conduisant à des adaptations locales et au développement de cultures matérielles uniques, suivies de périodes de mélanges génétiques et culturels.

« Les données convergentes issues de ces différents domaines soulignent l’importance de considérer la structure des populations dans nos modèles d’évolution humaine », explique Lounes Chikhi, Directeur de Recherche au CNRS dans le Laboratoire Evolution et Diversité Biologique de Toulouse et Responsable d’équipe à l’Instituto Gulbenkian de Ciência de Lisbonne. « Cela devrait donc nous amener à remettre en question les modèles actuels de changements de la taille de la population ancienne, et peut-être réinterpréter certains des anciens goulots d’étranglement, comme des changements dans la connectivité « , a-t-il ajouté.

« L’évolution des populations humaines en Afrique était multirégionale. Notre ascendance était multiethnique. Et l’évolution de notre culture matérielle était bien, multiculturelle », ajoute le Dr Scerri. « Nous devons regarder toutes les régions d’Afrique pour comprendre l’évolution humaine. »

 

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Réference

Did our species evolve in subdivided populations across Africa, and why does it matter?, Eleanor M.L. Scerri, Mark G. Thomas, Andrea Manica, Philipp Gunz, Jay Stock, Chris Stringer, Matt Grove, Huw S. Groucutt, Axel Timmermann, G. Philip Rightmire, Francesco d’Errico, Christian Tryon, Nick Drake, Alison S. Brooks, Robin Dennell, Richard Durbin, Brenna Henn, Julia Lee-Thorp, Peter deMenocal, Michael D. Petraglia, Jessica C. Thompson, Aylwyn Scally, Lounès Chikhi. Trends in Ecology and Evolution, 2018.

Notes

1 Des laboratoires Évolution et diversité biologique (CNRS/Université Toulouse III – Paul Sabatier/IRD) et De la Préhistoire à l’actuel : culture, environnement et anthropologie (CNRS/Université de Bordeaux/Ministère de la Culture).

Source CNRS