Phoques moines de Méditerranée en danger d’extinction
Actu IRD

06 septembre 2021

Philippe Gaubert

Le phoque moine est l’un des mammifères marins les plus menacés. Des généticiens de la conservation ont réalisé l’analyse du génome mitochondrial* de spécimens anciens et récents afin de mesurer, sur les 200 dernières années, la perte de diversité des populations de cette espèce. Financés par la Fondation Prince Albert II, leurs travaux ont permis de développer des outils génétiques qui pourront accompagner la mise en place de stratégies de conservation.

Qui se souvient des phoques moines qui vivaient dans les Calanques de Marseille il y a encore 70 ans ? Réduite à quelques centaines d’individus, l’espèce est classée « en danger » depuis 2015 par l’UICN.

 

Des populations réduites et une répartition fragmentée

Il ne reste plus que 350 à 450 individus adultes reproducteurs au monde de Monachus monachus ou phoque moine de Méditerranée. Face à cette triste réalité, des généticiens et naturalistes ukrainiens, danois, portugais, espagnols et français se sont regroupés pour dresser un état des lieux de la diversité génétique actuelle et la comparer à celle des deux siècles passés. « L’aire de répartition ancienne allait de la mer Noire à la Gambie, assure Philippe Gaubert, chercheur à l’UMR EDB, mais les populations de cette espèce de mammifère marin n’existent désormais plus qu’en trois sites principaux : autour de l’archipel de Madère, sur un kilomètre de côte au Sahara occidental et enfin, à 4000 km de là, entre la Grèce, Chypre et la Turquie ».

[siteorigin_widget class= »SiteOrigin_Widget_Image_Widget »][/siteorigin_widget]

Les phoques moines étaient déjà exploités pour leur viande, peau, graisse et des usages médicinaux dès la Préhistoire mais ont payé un lourd tribut à l’époque romaine puis à partir de la Renaissance. L’Homme moderne ne leur fait pas non plus de cadeaux : persécutions par les pêcheurs qui les accusent de concurrence, surpêche, destruction de l’habitat, urbanisation des côtes, tourisme de masse.

 
[siteorigin_widget class= »SiteOrigin_Widget_Image_Widget »][/siteorigin_widget]

Le génome mitochondrial révèle extinctions et dispersions sur de longues distances

L’équipe internationale a analysé l’ADN des mitochondries de 60 individus : 42 issus de spécimens historiques (1859 à 1975) conservés en musées et 18 issus de spécimens récents (échantillonnés de 1975 à nos jours). « Nous avons pu séquencer 37 mitogénomes complets et obtenir des données fragmentaires mais utilisables pour les autres échantillons, s’enthousiasme le généticien de la conservation. C’est la première fois que s’opère une reconstruction phylogénétique à l’échelle de l’espèce sur l’ensemble de son aire de répartition actuelle et historique ». Le phoque moine de Méditerranée était caractérisé par une faible diversité génétique (mitochondriale) il y a déjà environ 200 ans. « Certains indices pourraient suggérer que cette diversité a continué de chuter au cours des deux derniers siècles, continue Philippe Gaubert, mais malgré nos efforts, l’image que nous avons reconstruite reste inachevée et l’effort de séquençage sur d’autres individus historiques devra se poursuivre. Par ailleurs, nous avons confirmé que par le passé, des flux de gènes entre des populations maintenant isolées (Est Méditerranéen et Nord Atlantique) existaient ». La répartition en trois populations isolées telle qu’on la connaît aujourd’hui est liée à la pression anthropique continue dans l’ensemble de son aire. D’ailleurs une des lignées, identifiée grâce aux spécimens anciens et située dans l’ouest méditerranéen, a totalement disparu.

 

Outils génétiques pour contrer le déclin du phoque moine de Méditerranée

Mieux comprendre l’évolution de l’espèce devrait permettre la mise en place de stratégies adaptées à sa conservation. Dans cette optique, Philippe Gaubert et ses collègues ont développé de nouveaux marqueurs microsatellites (à partir du génome du phoque moine de Méditerranée) qui permettent de distinguer les différentes populations ainsi que chaque individu au sein de ces populations. Permettant aussi de mieux caractériser les flux de gènes et autres évènements démographiques récents, ce nouvel outil génétique est crucial pour le suivi des populations actuelles de phoques moines de Méditerranée.

[siteorigin_widget class= »SiteOrigin_Widget_Image_Widget »][/siteorigin_widget]

« Ainsi, nous avons montré que les individus de Madère (Nord Atlantique) étaient probablement une sous-population génétiquement très appauvrie de celle de Cabo Blanco (côtes du Sahara Occidental) », avance le chercheur. Pour lutter contre les effets délétères de l’isolement des populations et de la consanguinité, les scientifiques recommandent une politique de translocations d’individus de Cabo Blanco vers Madère.

 

Réference

Mitogenomics of the endangered Mediterranean monk seal (Monachus monachus) reveals dramatic loss of diversity and supports historical gene-flow between Atlantic and eastern Mediterranean populations., Rey-Iglesia A., Gaubert Ph., Themudo G. E., Pires R., de la Fuente C., Freitas L., Aguilar A., Borrell A., Krakhmalnaya T., Vasconcelos R., Campos P. F., Zoological Journal of the Linnean Society, 191 (4), 1147-1159. 2021.

Cette publication fait suite à deux autres publications antérieures :

Aller plus loin Liste Rouge des Espèces Menacées (UICN)

Notes

* Dans une cellule de mammifère, l’ADN se trouve dans le noyau et dans les mitochondries.

Source IRD