Pour les organismes qui vivent exclusivement en eau douce, les bassins versants, autrefois connectés entre eux par leurs affluents quand le niveau de la mer était plus bas (voir schéma ci-dessus), constituent des îles dont les frontières sont quasiment infranchissables : ils ne sont plus connectés entre eux. Dans une étude parue dans Journal of Biogeography, des chercheurs du Laboratoire de Biologie des Organismes et des Ecosystèmes Aquatiques (MNHN/CNRS/Sorbonne Université/IRD/Université de Caen Normandie/Université des Antilles), du Centre d’Ecologie et des Sciences de le Conservation (MNHN/CNRS/Sorbonne Université), et du Laboratoire Evolution et Diversité Biologique (Université de Toulouse Midi-Pyrénées/CNRS/IRD/UPS) ont analysé l’influence contemporaine de la sélection, du hasard et de la dispersion sur les différences dans la composition génétique des populations de poissons d’eau douce et dans la composition en espèces des communautés entre bassins versants. L’étude a porté sur 22 espèces de poissons d’eau douce (dont certaines espèces typiques des rivières françaises telles que le gardon et le chevaine) distribuées dans 38 bassins versants répartis en Europe (dont le Rhin, la Loire et le Danube) et en Amérique du Nord (dont le Mississipi).
Les résultats indiquent que les processus contemporains de sélection, de hasard et de dispersion n’expliquent qu’une petite partie des différences entre bassins versants dans la composition des populations et des communautés de poissons d’eau douce. En revanche, les différences dans la composition des communautés expliquent bien les différences dans la composition des populations (et vice-versa), même après avoir pris en compte les processus contemporains de sélection, de hasard et de dispersion. L’explication la plus probable est que les différences entre bassins versants observées aujourd’hui sont issues de processus historiques liés à la colonisation des bassins versants par les différentes espèces lorsque ceux-ci étaient encore connectés. Comme lors du dernier maximum glaciaire, il y a 20 000 ans, où le niveau de la mer était plus bas et par conséquent beaucoup de bassins versants aujourd’hui déconnectés étaient à ce moment-là connectés par leurs affluents.
Ce résultat ouvre de nouvelles pistes pour comprendre la connectivité génétique des populations de poissons d’eau douce. Par exemple, savoir à quel point la connectivité génétique entre bassins versants des populations de gardon ou de chevaine est liée à des à des évènements historiques ou à des évènements récents, sur lequel l’Homme est susceptible d’avoir une influence positive (actions de conservation) ou négative (dégradations environnementales).