Une innovation photosynthétique élargit la niche écologique d’une graminée
Brève CNRS

07 août 2015

Guillaume Besnard

Face aux changements environnementaux, certaines espèces doivent s’adapter. Sur de larges échelles de temps, des caractères adaptatifs complexes peuvent évoluer permettant aux espèces de coloniser de nouveaux habitats. Bien que ceci n’ait jamais pu être formellement démontré, il est supposé que ces transitions adaptatives s’accompagnent d’un changement des exigences écologiques. Une équipe internationale, composée notamment de chercheurs du laboratoire Evolution et Diversité Biologique (EDB – CNRS/Université Toulouse III Paul Sabatier/ENFA), s’est intéressée à Alloteropsis semialata (Poacées), une graminée ayant colonisé des habitats très variés sur trois continents de l’Ancien Monde. Publiée le 7 août 2015 dans Ecology Letters, l’étude révèle que l’évolution du caractère adaptatif de la plante ne s’est pas accompagnée d’un changement radical des exigences écologiques, comme attendu, mais au contraire d’une extension, permettant à l’espèce de survivre dans de nouvelles conditions en plus de celles occupées initialement.
 
 
 

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Certaines plantes sont capables de résister à des conditions extrêmes de sécheresse et de température. Cette performance a été rendue possible dans certains cas grâce à une innovation évolutive majeure, apparue de façon convergente chez plusieurs clades de Graminées, il y a environ 25 millions d’années : la photosynthèse dite en C4.

Le type de photosynthèse d’une plante est déterminé par le nombre d’atomes de carbone de la 1re molécule organique formée lors de la fixation du CO2. Il existe différents modes de fixation du CO2 chez les plantes. 90% des espèces fonctionnent selon un mécanisme dit en C3 (3 atomes de carbone). Or, chez 3% des espèces de plantes, en particulier les graminées (maïs, canne à sucre, sorgho…), il existe une autre voie d’assimilation du carbone dans laquelle la fixation du CO2 génère un acide à 4 carbones. On parle alors de photosynthèse en C4. Ce mode de photosynthèse est plus efficace en milieu sec et chaud. Les plantes C4 sont responsables aujourd’hui d’environ 25% de la fixation de carbone par des organismes terrestres et nourrissent une grande partie de la planète.
On suppose que l’évolution depuis la photosynthèse C3 vers le mode C4 s’est accompagnée d’un changement immédiat des exigences écologiques des plantes, mais cela n’a jamais pu être formellement démontré, car de tels processus devraient être idéalement étudiés au cours du processus d’adaptation.

Pour arriver à leurs résultats, les chercheurs se sont intéressés à Alloteropsis semialata, une graminée apparue en Afrique Centrale au Pliocène, entre 5 et 2 millions d’années, dont les populations diffèrent de types photosynthétiques. Sur les 250.000 espèces de plantes décrites, elle est, à ce jour, la seule connue à inclure des individus faisant de la photosynthèse C3 et d’autres de la C4. En utilisant des données génomiques et environnementales, les chercheurs ont reconstruit l’histoire évolutive d’A. semialata. Ils ont ainsi inféré sa colonisation de nouvelles aires géographiques au cours du Pléistocène (2,6 Ma à 12 000 ans). Ce processus a été fortement influencé par le type de photosynthèse. En effet, tandis que la lignée C3 est restée confinée dans des conditions écologiques relativement étroites dans une partie de l’Afrique, la lignée C4 a rapidement migré dans des milieux très contrastés et s’est dispersée à travers toute l’Afrique, en Asie et jusqu’en Australie.
Cette étude démontre que la mise en place de la photosynthèse C4 permet une migration vers de nouveaux milieux en plus des habitats ancestraux, permettant de se distribuer sur de très larges aires géographiques. Compte tenu des tendances au réchauffement et une aridification de notre planète, l’étude de cette espèce pourrait offrir des perspectives innovantes en biologie végétale et en biotechnologie pour les graminées cultivées notamment dans les zones arides.
 
 

Réference

Photosynthetic innovation broadens the niche within a single species, Marjorie R. Lundgren, Guillaume Besnard, Bradley S. Ripley, Caroline E.R. Lehmann, David S. Chatelet, Ralf G. Kynast, Mary Namaganda, Maria S. Vorontsova, Russell C. Hall, John Elia, Colin P. Osborne & Pascal-Antoine Christin, Ecology Letters, 07 August 2015.

Source INEE CNRS